Originaire de Lyon, Jérôme Tisserand est danseur principal au Pacific Northwest Ballet  (PNB) à Seattle.

Propos recueillis par Ève de Crémiers, correspondante Culture pour Made in France. Cet interview est disponible dans le 8ème numéro du magazine Le Mag’ Franc@phone.

Pacificic Northwest Ballet soloist Leah Merchant and Principal Dancer Jérôme Tisserand in Benjamin Millepied’s Appassionata. Photo © Angela Sterling.

Après une formation entamée à Lyon et à l’Opéra de Paris, il met le cap sur les États-Unis : Miami puis New York et enfin Seattle où il s’établit en 2007. Au gré des représentations magistrales des plus grandes compositions des répertoires classiques et contemporains, Jérôme Tisserand contribue au rayonnement du PNB, une compagnie vibrante et talentueuse de 50 danseurs, qui était en représentation pour la première fois à Paris à l’occasion des Étés de la Danse en juillet dernier.

Nous avons rencontré Jérôme Tisserand au mois de Juin entre deux répétitions, dans l’atmosphère si particulière des studios du PNB.

Pacific Northwest Ballet Principal dancer Jérôme Tisserand. Photo © Lindsay Thomas.

La danse est un art qui requiert rigueur, travail et passion. Comment votre passion de la danse est-elle née ?

Un peu par hasard…J’avais 11 ans et souhaitais faire de la gymnastique. Mes parents pensaient m’inscrire à un cours de gymnastique au       Conservatoire de Lyon. J’ai découvert que ce cours était en fait un cours de danse. Ce n’était pas évident pour un garçon de mon âge mais j’ai aimé ça, je me suis accroché et je n’ai plus cessé de danser. C’est en fait grâce à cette méprise que tout a commencé et j’en suis plus qu’heureux aujourd’hui.

Rêviez-vous de danser un jour aux États-Unis ?

Je n’y avais pas vraiment songé. Les choses sont arrivées progressivement. J’ai quitté Lyon l’année de mes 12 ans pour intégrer les petits rats de l’Opéra de Paris où je suis resté trois ans. De  retour à Lyon, j’ai gagné un concours dont le premier prix était un stage d’été au Miami City Ballet. J’y ai rencontré des danseurs de la School of American Ballet à New York (l’école du New York City Ballet). Séduit par leur énergie et leur vision de la danse j’ai auditionné et suis parti étudier    là-bas. J’y ai rencontré Peter Boal, alors danseur principal au New York City Ballet et   professeur, aujourd’hui directeur artistique du PNB. Je danse encore pour lui aujourd’hui.

Danser aux États-Unis est-il très différent de danser en France ? Peut-on parler de la danse comme d’un langage universel ?

Le ballet est un échange perpétuel entre des danseurs, un orchestre et un public. Nous transmettons des émotions. Je pense que l’on peut en cela parler de langage universel. La danse a ses spécificités en France et aux États-Unis. L’attaque du pas est plus rapide ici, nous apprenons des portés et une façon d’évoluer sur scène différents en France. La rigueur et l’exigence sont évidemment des composantes incontournables de l’apprentissage de la danse, où que l’on soit.

Le public américain est-il différent du public français ?

Le public américain est peut-être plus engagé, plus démonstratif lors d’une représentation mais je n’ai que très peu dansé professionnellement en France pour être catégorique. Je suis curieux de découvrir les réactions du   public français cet été.

Nous sommes assez proches de notre public ici et connaissons  personnellement nos mécènes. Contrairement à la France, les ballets sont très majoritairement financés par des fonds privés. Les subventions existent mais sont vraiment minimes. Nous avons de fait un lien privilégié et plus direct avec notre public.

Avez-vous une préférence pour les ballets classiques ou contemporains ?

Peter Boal m’a fait danser dès le début des    œuvres issues des deux registres. Je suis chanceux. Ma formation classique me destinait plus aux ballets classiques mais j’ai appris à apprécier des chorégraphies plus contemporaines. Celles de Jean-Christophe Maillot, directeur des Ballets de Monte Carlo notamment. Nous dansons     régulièrement  son Roméo et Juliette. Le travail d’interprétation est très différent, nous évoluons un peu comme des acteurs qui tourneraient un film tout en dansant. C’est un travail exigeant et qui nous sort de notre zone de confort, c’est   passionnant.

 Rêvez-vous ou auriez-vous rêvé de travailler avec certains chorégraphes passés ou présents ?

J’adorerais travailler avec Jiri Kylian, c’est un chorégraphe de génie. Nacho Duato également. J’aurais bien entendu rêvé de travailler avec   Jerôme Robbins et George Balanchine.

 Avez-vous grandi avec des modèles, êtes-vous inspiré par d’autres danseurs ?

Je pense que tous les danseurs ont grandi en admirant Barychnikov. Son histoire, sa façon de danser, ses sauts extraordinaires. Je pense aussi à Noureev et plus près de nous Nicolas Le Riche et Manuel Legris de l’Opéra de Paris.

Le Pacific Northwest Ballet est-il différent des autres ballets américains ?

Le PNB est très dynamique, nous avons la chance d’interpréter un répertoire très diversifié. L’American Ballet se focalise sur un registre très classique – GisèleLe Lac des Cygnes – le New York City Ballet sur les œuvres de Balanchine et    Robbins, d’autres compagnies sont beaucoup plus modernes. Notre directeur artistique a      apporté avec lui beaucoup de contemporain – William Forsythe, Jiri Kylian. Nous avons une grande capacité à changer de registre, c’est notre identité. C’est très intéressant et très riche de passer de l’un à l’autre et cela nous permet de toucher des publics différents.

L’Opéra de Paris, le Bolchoï sont des compagnies plus fermées où la compétition est certainement plus rude. Le PNB est une compagnie plus petite (50 danseurs contre environ 200 à l’Opéra de Paris). Nous nous connaissons tous très bien, sommes amis et évoluons dans une ambiance plus chaleureuse. Je pense que notre unité se ressent lors des représentations.

Photo © Angela Sterling.

Être français vous a-t-il permis de vous différencier au long de votre carrière ?

Sans aucun doute oui, en tout cas j’aime à le penser. Les gens apprécient ce qui est français. Mon parcours est original et je suis fier de représenter d’une certaine manière la France à Seattle. Je suis fier de ma formation et de ce qu’elle m’apporte encore aujourd’hui. Nous     accordons en France beaucoup plus d’importance au port de bras par exemple. J’ai hâte de danser à Paris et de montrer notre travail. Nous amènerons quelque chose de différent avec un programme très varié inspiré des Directors Choice du PNB qui ont lieu en mars.

Vos origines influencent-elles vos goûts ?  Cela se manifeste-t-il dans votre travail ?

On me dit souvent, « C’est très français ce que tu fais » (il sourit). L’apprentissage et le style sont différents en France. Aux États-Unis, l’influence de Balanchine est immense. Tout est plus rapide. J’ai dû m’adapter. Je pense que tout dépend du moment auquel on arrive aux États-Unis. Je suis arrivé à 17 ans et au début les ballets de Balanchine et Robbins ne me plaisaient pas du tout. J’étais habitué aux ballets à histoire. J’ai mis une bonne année à apprécier. La plupart des         danseurs étrangers habitués aux ballets         classiques ressentent la même chose en arrivant. J’apprécie énormément maintenant. Nous interprétons d’ailleurs un programme spécial Robbins en   septembre et j’ai hâte.

Vous êtes papa depuis peu, que souhaitez-vous transmettre à votre petite fille ?

Amélie a aujourd’hui 11 mois et sa maman, danseuse principale au PNB également (ndlr Laura Tisserand), est américaine, originaire de        Louisiane. Seattle est loin de la France mais nous y passons du temps chaque année. Je  souhaite en premier lieu qu’elle parle le français, bien entendu. J’aimerais lui transmettre le goût pour les bonnes choses, pour les discussions entre amis autour d’une table. Notre fille grandira entourée par la danse et nos deux cultures. J’aimerais beaucoup qu’elle se réalise également artistiquement mais elle fera ses propres choix. Nos parents nous ont laissé libres sur ce plan, nous aurons à cœur de faire de même.

Eve de Crémiers pour Made in France